Le rouge
et le noir.
Pulsion de vie,
pulsion de mort.
Et là le blanc !
Au centre il y a la matière. À sa gauche, la créativité – rouge – et à sa droite la méthode – noire. La méthode alimente le système. Elle s’appuie sur de nombreux rouages – le capital, la performance, l’optimisation, le moule, qui tous ensemble nourrissent la machine. La création, au contraire, renvoie à la constellation, ou à la toile d’araignée – à l’interdépendance. Les neurones, la plasticité, la vérité sont liés au corps. Coincées dans cette opposition, toutes nos pulsions, peurs et trauma, le vide, le manque, la destruction, le chaos.
Depuis ses études à l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, Camille Sauer joue des structures qui nous entourent, qu’elles soient politiques, économiques ou sociales, les dissèque pour en révéler les fils, les dénouer peut-être et les renouer différemment, avec son public. L’œuvre est alors codifiée – codée même – et chaque élément visuel qui s’y trouve présenté revêt une signification. Ensemble ils forment un réseau de signes, c’est à dire à la fois des indices et des symboles. Il y a la couleur, avec le rouge et le noir, la forme, avec le rond et le carré, les structures pyramidales ou organiques, la fluidité ou l’orthogonalité. Depuis une dizaine d’années, elle esquisse ces structures, les nomme et les articules sur les pages de nombreux carnets, les décline encore et encore, faisant de ces schémas signifiants la matrice de son œuvre. Pour la première fois, elle présente ces dessins, comme autant de meta-architectures, ou architectures fondamentales – c’est à dire qu’ils reflètent des systèmes et toutes leurs règles, qu’ils en révèlent les multiples rouages invisibles.
Des meta-architectures présentées aux murs, Camille Sauer a tiré des mondes numériques, plateaux de jeu vidéo dans lesquelles se déplace son avatar, ou « être réciproque » – son alter ego virtuel – sous notre contrôle. Comme une autre manière d’entrer dans le dessin, de pénétrer la matrice de notre monde et d’en explorer tous les mécanismes, à travers elle, ou plutôt avec elle. Au centre de la salle, un objet sonore demande lui aussi l’implication du public. Artiste-compositrice, Camille Sauer conçoit la musique comme une autre manière d’incarner la structure – l’objet sonore est donc lui-aussi une architecture, l’incarnation d’un système. En l’activant, on libère la parole poétique, qui est également politique. En échos à ces dispositifs exploratoires, Camille Sauer présente l’Industrie artistique, un opéra audiovisuel qui interroge le rôle de l’artiste au sein de notre société.
Dans un monde alternatif aux environnements une place pour l’artiste inspirés d’une forme d’hyper planification architecturale et industrielle, l’artiste se trouve – par l’intermédiaire de son avatar – plongée au sein d’une industrie productiviste, provoquant par ses récits la création de nouveaux imaginaires. À la fois œuvre visuelle, poétique et musicale, l’Industrie artistique se trouve au croisement de ses pratiques d’écriture, de composition et de création d’images, et reprend l’ensemble de ses recherches structurelles et politiques, souhaitant donner à voir les bouleversements intérieurs qui peuvent traverser la vie d’un artiste dans ses premières années.
En décortiquant les règles et les processus qui régissent notre quotidien, en les donnant à voir par le jeu, la poésie, la vidéo ou le dessin, Camille Sauer cherche une place pour l’artiste au sein de nos systèmes culturels, et plus généralement une portée pour la création. À travers son cheminement intérieur, cette aventure solitaire au sein d’une industrie ambiguë, elle sonde la possibilité même de la rencontre artistique, de l’interférence, et de ses effets sur notre perception du monde. C’est sans doute là que se trouve le fondement de son travail, et la raison pour laquelle sa voix porte aujourd’hui une importance toute particulière.
Grégoire Prangé
Lille, avril 2024